« ...
Nous avons vécu en dix ans ce que
les autres ont vécu en un siècle.
Néanmoins, nous devons continuer
de tenir compte de l’expérience du reste du monde. Nous ne
pouvons pas toujours penser à nous
et à nos succès, même
si nous sommes une partie du monde, et que notre travail d’aujourd’hui représente une partie du
travail de l’Humanité. »
Ces
mots symboliques
sont ceux du compositeur Kara Karayev, illustre
représentant de la culture azerbaïdjanaise.
Ils expriment le rêve le plus cher de l’artiste -
que la musique azerbaïdjanaise occupe
une place digne de ce nom dans la musique
du XXème
siècle. Toute la vie du maître,
toutes ses activités ont été
consacrées à ce but.
Pour
mieux comprendre le sens de ses paroles,
il convient
d’examiner son
oeuvre.
Kara
Karaev est né le 5 février
1918. Son père, Aboulfaz Karaev,
était un grand pédiatre, docteur
et professeur en médecine.
Sa mère, Sona Akhoundova, était
une érudite bercée dès
sa plus tendre enfance par la musique et
la poésie.
Les
premières influences de Karaev furent
extrêmement variées : il est
élevé dans le folklore azerbaïdjanais,
la musique traditionnelle, les rites des
villages bakinois, les classiques européens,
ainsi que toute
l’œuvre du XXème siècle,
dont Bartok,
Chostakovitch, Prokofiev.
«L’occident
et l’Orient étaient en moi dès
le début» - l’essentiel de la pensée
du compositeur est dans cette phrase.
Il
doit sa formation de compositeur et sa personnalité
à l’artiste de génie du XXe
siècle, fondateur de l’école des compositeurs d’Azerbaïdjan, Uzeïr
Hadjibeyov ainsi qu’au grand symphoniste
russe Dimitri Chostakovitch. Au Conservatoire
National d’Azerbaïdjan , Karaev
apprend d’Uzeïr Hadjibeyov les principes
de la musique traditionnelle azerbaïdjanaise,
dont il découvre toute la beauté
et la profondeur.
Plus
tard, Karaev dira de son maître d’une
façon imagée et avec une grande
sincérité : «Il luttait
pour mon âme nationale».
Au
conservatoire d’Etat Tchaïkovski de
Moscou, dans la
classe de Chostakovitch, Karaev acquiert
les bases de la composition et comprend
la nécessité de la recherche
permanente. Il s’initie par ailleurs aux
grands succès de la musique universelle.
Kara
Karaev commence sa carrière artistique
dans la deuxième moitié des
années 30 – une période importante
et décisive pour l’avenir de la musique
d’Azerbaïdjan. C’est à cette
époque qu’Uzeïr Hadjibeyov réalise
des travaux de recherche fondamentale sur
« les principes de la musique folklorique
azerbaïdjanaise », afin de la
révéler au reste du monde.
Le
résultat de ses recherches scientifiques
est des plus convainquants : le compositeur
crée l’opéra «Koroglu» (1937)
dans lequel il réussit à franchir
la limite qui sépare depuis longtemps
les musiques orientale et occidentale. Grâce
aux efforts d’Uzeïr Hadjibeyov, la
musique azerbaïdjanaise occupe désormais
une place importante dans le développement
de la musique mondiale.
Mais
il fallait continuer cette démarche
entamée par Uzeïr Hadjibeyov,
et
repousser les limites
des découvertes artistiques.
Il
se crée progressivement
une nouvelle école des compositeurs.
Dans une nouvelle étape de l’Histoire
de la musique azerbaïdjanaise, prenant
le relais d’Uzeïr Hadjibeyov, Kara
Karaev commence ses recherches et fait une
synthèse de la musique traditionnelle
et de sa place dans la culture mondiale. Dans les premières
œuvres de Karaev - une œuvre pour
piano «La
statue de Tsarskoïe Selo» (1937)
interprétée à
la manière impressionniste, et une
cantate ethnographique
«Le chant du coeur» (1938) - contrastent
vivement style et attitudes imagées.
Elles donnent une idée nette de l’amplitude
des recherches du compositeur, dont le but
essentiel est la découverte du point
de contact entre la culture de son pays
et celle de l’Europe.
En
1943, le compositeur écrit sa première
symphonie. C’est une des premières
œuvres symphoniques en Azerbaïdjan
dignes de ce nom. A l’instar de
son professeur Chostakovitch, Kara Karaev
refuse la structure des quatre parties traditionnelles
qu’il remplace par un cycle original de
deux parties. Il essaye d’unir les particularités
tonales de l’intonation appartenant à
la musique azerbaïdjanaise avec la
polyphonie de l’Europe occidentale et l’harmonie
contemporaine. Les critiques qualifièrent
cette symphonie d’expérimentation
«néoclassique» à la manière
d‘Hindemith.