Le
compositeur a vivement contesté,
et ce à plusieurs reprises, l’attitude
qui pousse à ne chercher dans le
folklore que sa valeur marchande.
«Allons,
avouons que nous obtenons la musique traditionnelle
azerbaïdjanaise assez facilement, disait-il.
N’est-il pas temps de réfléchir
et de se demander si la musique traditionnelle
est vraiment inépuisable ou sises
grandes richesses se trouvent à la
surface ou à une telle profondeur,
que nous ne pourrons jamais les atteindre».
A
ce moment-là, ni la difficulté
technique, ni la polyphonie expressive de
l’art de Karaev, liées à l’intérêt
du compositeur pour la vie, l’histoire et
la culture des autres peuples, n’ont réussi
à diminuer la substance nationale
de la musique du maître.
Dans une de ses interviews, Karaev souligne: "Les traditions nationales
se manifestent parfois inconsciemment. Je
compose la musique sur des thèmes
espagnols, bulgares, vietnamiens mais on
me dit qu'elle garde l'empreinte de ma nationalité, de mes mains azerbaïdjanaises. Comment est-ce possible ? Je n'arrive
pas à l’expliquer et d’ailleurs je
n'y réfléchis pas".
Dans un autre propos, Karaev y revient en notant qu'il ne se met jamais au
travail sans s'être posé par avance comme objectif d'être
un compositeur azerbaïdjanais : "Le
fait est que l'on appartient génétiquement
à son peuple, remarque-t-il. On est
lié à son
histoire, sa nature, sa langue, on possède
les traits de caractère de sa nation
- tempérament, caractère
ouvert ou, au contraire, renfermé, réservé,
attachement à la contemplation lyrique
ou bien à la réalité
héroïque
...".
Il est impossible en parlant de Karaev, de ne pas admirer l'étendue
de ses activités.
Compositeur de génie,
il réunissait
en lui des qualités de pédagogue, de savant et de personnalité
publique. Après la mort d’Uzeïr
Hadjibeyov en 1948, Karaev préside
pendant 30 ans l'Union des compositeurs
d’Azerbaïdjan. De 1949 à 1953,
il est recteur du Conservatoire d'État,
il dirige la chaire de composition dans
cet établissement musical, tout en étant
un membre actif de l'Académie des sciences
de la République.
Il vivait et créait avec une passion particulière,
propre aux peintres de la Renaissance. Karaev
montrait de l'intérêt
pour plusieurs domaines, s’empressait d’essayer
différents genres
et styles de musique, essayait d’apporter
son aide aux jeunes gens talentueux, aux
créateurs de nouveaux groupes, en un mot,
à tous "ceux qui professaient
la vérité".
"Si ce n'est pas moi ou toi qui brûles,
si ce n'est pas nous qui brûlons,
à qui appartient-il alors de disperser
les ténèbres?"
- ces vers du poète turc Nazim Hikmet
traduisent le mieux les qualités
de Karaev - créateur
et personnalité.
Il convient d’admirer son ouverture d’esprit, la richesse de son monde spirituel.
Le jazz et le folklore, l'archéologie et les
sciences exactes, le cinéma, la photographie, les beaux-arts -
tout ce qui est d'actualité dans la science et la culture mondiales
- s'y accordent d'une manière naturelle.
« L'intellect de Karaev est immense »,
dit le compositeur russe Rodion Chedrine.
L'écrivain
Imran Kassoumov admirait cette qualité chez son ami.
Quel que soit le sujet abordé, on avait l'impression que "toute
la civilisation lui était évidente, pas des
renseignements encyclopédiques élémentaires,
mais une connaissance profonde, une interprétation extrêmement
originale - un cristallin dans l’oeil qui
réfracte
un rayon informationnel sous un angle tout
à fait inattendu".
Le plus remarquable est que tout devenait immédiatement partie intégrante
de lui-même, enrichissant infiniment
son monde spirituel et, par conséquent, sa création qui
était,
selon le compositeur, "le moyen d'exprimer
son attitude envers le monde".
Sa vie spirituelle riche et fort active, son vaste champ d'activité
ont déterminé
la variété
de ses thèmes, genres, modèles
et style. Le monde des personnages de Nizami
et Nazim Hikmet, Abrahams et Boulgakov,
Rostand et Samed Vourgoun l'attirait. Ces
poètes et écrivains représentaient
des traditions littéraires variées, et
leurs sujets et personnages permettaient
de nouveaux moyens d'expressivité,
des nuances dans le style. Les couleurs
vives et brillantes du ballet «Les chemins
foudroyés » voisinent avec les
traits graphiques réservés
des gravures symphoniques de "Don
Quichotte" ; le genre naturel
de "la
Rapsodie albane" avec la musique
du quatuor à cordes, retenue dans
l'esprit classique, le caractère
émotionnel
et pittoresque du poème lyrique symphonique
pour violon "Leyli et Medjnoun".
Cependant, malgré toute la diversité
des personnages et des moyens de leur incarnation,
ce sont surtout les sujets d'actualité
qui attiraient l'attention de Karaev. "L'actualité m'émeut vivement.
Il est même probable que je ne serais
pas devenu compositeur, si j'étais
né
plus tôt"- a-t-il avoué.