Pendant
cette période Karaev est plongé
dans de profondes réflexions. Le
compositeur critique son œuvre des
années 40-50 et comprend qu’il lui
est nécessaire de préciser
l’orientation de ses recherches musicales.
Pour mieux comprendre le problème auquel l’artiste est confronté,
il convient de préciser un fait marquant
de sa biographie.
Karaev
visite les Etats Unis au sein de la délégation
des compositeurs soviétiques. Au
festival de musique international
de Los Angeles, on joue la deuxième suite de son ballet
« Les chemins foudroyés ».
Il est alors frappé par la différence
d’interprétation tant stylistique
que technique et découvre les différentes
possibilités d’interprétation
individuelle, issues de la méthode
Schoenberg.
Rentré des Etats Unis, il avoue avec tristesse : « nous avons
régressé de 50 ans ».
Mais, la musique entendue au festival de
Los Angeles stimule ses recherches. Poursuivant
son but, motivé par une forte volonté,
le compositeur effectue un changement total
dans son œuvre. « Je me suis impitoyablement
maîtrisé », - écrit-il
dans une de ses lettres. Les résultats
sont de plus en plus étonnants :
la
troisième symphonie (1964) et
le concerto
pour violon de 1967 sont devenus des
ouvrages de référence de la
musique soviétique.
R. Chedrine, accentuant la signification historique de ces compositions,
écrit que grâce aux interventions
de Karaev aux assemblées plénières
de l’Union des compositeurs de l’Union soviétique,
la musique soviétique commence à
évoluer.
Bien sûr, le compositeur n’a jamais suivi aveuglément la technique.
Il a tenté de démontrer la
possibilité d’une fusion de la lecture
musicale nationale des formes traditionnelles
avec un nouveau système d’organisation
des sons. Par exemple, il espérait
pouvoir rassembler un rang de douze tons
aux sons azerbaïdjanais pour obtenir
un mougham en série.
Dans le concerto pour violon, Karaev a pu incarner une chose à ses
yeux plus importante – les principes mêmes
de la pensée musicale nationale.
Et au premier regard, son œuvre a été
perçue comme la manifestation la
plus caractéristique des qualités
du peuple azerbaïdjanais : l’essence
de sa pensée, de son caractère,
de son tempérament.
Le côté émotionnel de la musique de Karaev a-t-il souffert
dans les compositions des années
60 ? Il est à noter que même
dans les premières compositions du
maître la sévérité
intérieure l’emporte toujours sur
les émotions.
En général, il désapprouve l’opinion générale
sur l’expressivité absolue de la
musique orientale, lui oppose son propre
orient, où dans la munificence de
la palette émotionnelle de la peinture
et des rythmes, règne non pas la
sensibilité, mais la psyché
profonde, l’intellect subtil.
D’après les critiques, la portée philosophique du concerto
pour violon à montré la puissance
intellectuelle de l’art oriental, appelée
plus communément « sagesse orientale ».
Karaev est non seulement un compositeur
de génie, mais également un
grand penseur, un célèbre
orateur, un maître de ses mots. Ses
publications et travaux scientifiques, comprenant
différents articles de presse, des
exposés faits pendant les symposiums
et les congrès, posent les bases
scientifiques, nationales et internationales
pour l’éducation des jeunes générations.
Il est
entré dans l’histoire de la musique
d’Azerbaïdjan comme le créateur
de la nouvelle école nationale des
compositeurs. Après avoir terminé
le conservatoire de Moscou en 1946, il a
dirigé les classes de composition
du conservatoire d’Etat d'Azerbaïdjan.
Il a consacré plus de trente ans
à ce travail lourd de responsabilités.
Universellement reconnue, l’école
Karaev a eu plus de 70 promus, dont la plupart
ont enrichi la musique azerbaïdjanaise.
Parmi ceux-ci, on peut citer les noms de
Gadjiev, Khanmamédov et Mélikov.
Après l’indépendance de la République, l’œuvre
des compositeurs azerbaïdjanais apparaît
de plus en plus dans les festivals internationaux,
confrontée à la musique contemporaine
occidentale. Mais c’est avant tout, la victoire
de l’école Karaev, de ses principes
artistiques et pédagogiques.
Le nom de Karaev en Azerbaïdjan est quasiment synonyme de culte ;
il est prononcé avec amour et hommage.
Beaucoup de choses nous rappellent son nom :
une avenue, une station de métro,
un navire, une école de musique,
un orchestre national de chambre. Outre ces hommages « publics », de
nombreuses œuvres
et festivals lui sont dédicacés,
offrandes musicales.
La littérature scientifique qui lui est consacrée augmente
régulièrement. De grands interprètes
jouent son œuvre – Kasimova, Badalbeyli.
Le chef d’orchestre Dmitri Sitkovetski (Grande-Bretagne)
a fait de nombreux efforts pour vulgariser
cette œuvre de Karaev à l’échelle
internationale.
Dans son répertoire, Leyli et Medjnoun, la Sonate pour violon et
la IIIème Symphonie ont été
joués à Belfast, Lublin, Moscou,
Helsinki, Amsterdam.
Kara Karaev occupe sans conteste une place très honorable dans la
musique du XXème siècle. Il
est entré dans la musique mondiale
par ses importants succès, audacieux
et inattendus. Dans les années, les
décennies à venir, les jeunes
générations apprendront encore
grâce à son œuvre et tenteront
de comprendre son cheminement intellectuel
et artistique.