~ Sonorous editions ~

 
RUS /AZ / EN / DEU / SPAN

 

 

Azerbaijan composers>>>

 


Kàãà Karayev

4

A chaque nouvelle création, l'artiste marie différents styles : l'art du contrepoint classique des maîtres anciens et les  improvisations effrénées de jazz, le baroque à structure précise et les mougams azerbaïdjanais aux régularités tonales, les nouveautés impulsées par Chostakovitch, Prokofiev, Stravinski, la polyphonie logique de Bach et les différents genres de musique populaire. Par exemple, dans les années 70, inspiré par la comédie du dramaturge français Edmond Rostand "Cyrano de Bergerac", le compositeur crée une comédie musicale «le Gascon furieux" où il réussit à réduire au même dénominateur les intonations et genres classiques, les harmonies romantiques et les formes rythmiques de la musique pop.

Classés parmi les grandes réalisations musicales du XX-ème siècle, les 24 préludes pour piano de Karaev peuvent être considérés comme une encyclopédie de son style. Bien des nouveautés y sont présentes. Recourant aux différents styles - danse populaire, berceuse, marche funèbre, chanson -, Karaev les synthétise, contre toute attente, avec des éléments classiques, les intonations et les harmonies du jazz en présentant des personnages tout à fait originaux. Comme exemple, le néo-baroque de Karaev peut être illustré par ses 6 derniers préludes composés sur la base des formes et des genres de la musique ancienne - fugue, variations polyphoniques, chorale, passacaille.

Pourtant, sa qualité essentielle consiste en sa capacité d'allier les différentes influences, de les soumettre à son style individuel. C'est pour cette raison qu’en dépit des traits différents de ses œuvres, on y trouve aisément le fil conducteur: la forme laconique, l'austérité émotionelle, la pureté des personnages musicaux, l'attitude créative envers le folklore. Or le compositeur ne s'est jamais contenté de mettre uniquement en œuvre l'expérience musicale mondiale. Ainsi ses nouveautés, son harmonie modale originale ont à leur tour enrichi la musique professionnelle européenne.

L'oeuvre de Karaev est variée du point de vue des genres. Le compositeur ne les classe pas en grands et petits, difficiles et faciles. Il recourt volontiers aux grandes compositions instrumentales - symphonie, poème symphonique, concert, musique  pour le théâtre et le cinéma, aux genres synthétiques difficiles - opéra, ballet, music-hall, aux miniatures vocales et à la chanson. Quel que soit le genre, il fait preuve d'une réelle qualité de symphoniste.

Tout en exigeant la précision du nom du genre, la conception du compositeur sort parfois du cadre des modèles existant. Par exemple, pour la conception originale de la musique de "Don Quichotte" pour le film de Kozintsev, le compositeur s'est servi des indices de style d'un autre art, qu’il l’appelle "les gravures symphoniques". Son attitude responsable à l'égard de son travail pour le cinéma, sa musique de film concurrence avec succès ses opus symphoniques. La musique du film "Aux bords lointains" en est une belle illustration. Après avoir quitté l'écran, la musique de Karaev continue une vie indépendante. C’est le cas de la symphonie du long métrage sur le sort tragique du grand peintre espagnol  "Goya" composée par Kara Karaev et son fils, Faradj.

Il est impossible, lorsqu’on parle d’œuvre de Karaev, de négliger les relations du "poète à son époque". L'époque compliquée et contradictoire pendant laquelle vivait le compositeur, se manifeste  dans la tendance des recherches créatrices, dans les  thèmes abordés.

La biographie de Karaev semble, d'apparence, heureuse et sans nuages. A l’âge de 50 ans, il a reçu plusieurs titres et décorations et il est couronné des lauriers de « patriarche classique de la musique nationale ». Cependant, cette belle façade dissimule un destin tragique  - celui d'un artiste dans un pays totalitaire.

Sous le régime administratif autoritaire de l'époque stalinienne, un artiste était privé de liberté de création , limité dans le choix de la langue musicale et des techniques de composition. Le fameux décret du Parti Communiste de 1948 dénonçant les coryphées de la musique soviétique pour avoir créé des œuvres "pseudo-novatrices", "formalistes" et éloignées du peuple, touche également l’Azerbaïdjan. Comme d'autres compositeurs azerbaïdjanais, Karaev, décoré deux fois du prix Lénine, est classé parmi les compositeurs formalistes et critiqué dans la presse de 1948. On l'accuse alors d'avoir négligé les traditions de la musique nationale et classique, tout en lui reprochant le caractère abstrait de son langage mélodique, l'abondance des consonances confuses et dissonantes. Les deux premières symphonies de Karaev ont certainement dû motiver une telle critique. L’interprétation originale et un nouveau langage musical, trop modernistes, ne pouvaient pas être compris et acceptés par le public de l'époque. C’est ainsi que sa Première Symphonie est jouée pour la première fois au festival de "La musique du XXème siècle"(festival qui porte le nom de Karaev) à Bakou en 1988, soit 45 ans après sa composition. Celle-ci n'a pas été accueillie comme une '"œuvre de musée", mais comme une composition de haute qualité artistique aux idées fraîches, voire impertinentes pour l'époque. Plusieurs ont posé  la question: « quelle aurait été l'œuvre de Karaev sans directives idéologiques et recommandations du parti qui indiquaient "le droit chemin" ? ».

Les années 60 sont une période de dégel culturel. Le rideau de fer entre l'URSS et l'Europe est très partiellement levé dans le domaine des arts, autorisant une certaine diffusion des influences étrangères dans le pays. Lors des tournées de Stravinski en URSS, le public découvre le monde musical brillant et original de cet artiste de génie du XXème siècle. Les valeurs philosophiques et culturelles changent, le passé récent est reconsidéré. De nouvelles idoles, Schoenberg, Berg, Webern, représentants de l'avant-garde de la deuxième vague, gagnent l’esprit des musiciens.


Pages:

 

 ©Copyright by Musigi Dunyasi