Le
4 mai 1945, quelques jours avant la fin
de la 2nde guerre mondiale, l’opéra
héroïco-patriotique «La
Patrie» (Vätän), écrit
en collaboration avec Djövdet Hadjiyev
est mis en scène à l’Opéra-ballet
Akhoundov. Les auteurs se voient alors gratifiés
d’une récompense d’Etat de l’URSS
en 1946.
Le
compositeur remporte son premier grand succès
en 1947, lorsqu’il écrit le poème
symphonique «Leyli
et Medjnoun». Cette œuvre symphonique
est tirée de la célèbre
œuvre de Nizami Guendjévi, poète
et penseur de génie azerbaïdjanais
du XIIème siècle. Il est impossible
d’écouter avec indifférence
le récit troublé des amours
impossibles des Roméo et Juliette
de l’Orient - Leyli et Medjnoun.
Dans
ce poème, deux forces irréconciliables
s’affrontent non pas pour la vie, mais pour
la mort : la résistance entre
la fatalité et la passion, la tristesse
profonde et l’espoir, la désespérance
et la croyance dans le bonheur, l’obscurité
et la lumière s’achèvent dans
la tragédie. Mais la composition
finale, à savoir le thème
de Leyli, brillant, mais triste, est perçue
comme l’hymne impérissable de l’amour.
L‘œuvre de Kara Karaev est à son apogée lorsqu’il
compose, dans les années 50, les
deux ballets «Les
sept belles filles» et «Les
chemins foudroyés».
Le
compositeur y applique les traditions du
ballet classique, en s’appuyant sur les
expériences de Tchaïkovski et
Prokofiev, tout en employant les particularités
de l’art musical et chorégraphique
de l’Azerbaïdjan. Il crée ainsi
des œuvres novatrices, marquées
par une intégrité dramatique,
originales du point de vue de l’évolution
symphonique. Karaev élargit considérablement
les frontières des possibilités
de ce genre, en adaptant les thèmes
philosophiques au ballet.
Dans
le ballet «Les sept belles filles» (1952),
le compositeur s’adresse à nouveau
au monde philosophique et spirituel de la
poésie de Nizami, à son essence
brillante et polysémique. En repoussant
les idées principales du groupe
des «Cinq» , Karaev crée un poème
musical chorégraphique consacré
au destin et aux ambitions du peuple, à
la beauté de la personnalité
humaine, à l’amour moral sublimé.
La suite du ballet « les Sept portraits»
- est le plus bel exemple de l’école
Karaev.
Le
compositeur crée une galerie d’images
où belles indiennes,
byzantines,
habitantes
du khorezm,
slaves,
maghrébines,
chinoises,
iraniennes
contrastent les unes
avec les autres. Le final, une valse,
étonne tout le monde par ses couleurs
brillantes. Ici, Karaev unit le ton tchargaah
aux traits caractéristiques de la
valse.
En
1958, le deuxième ballet de Kara
Karaev - «Les chemins foudroyés»
- est un des grands succès du théâtre
de l’Opéra de Leningrad.
Le ballet est né du roman
homonyme de l’écrivain sud-africain
Peter Abrahams. Pour la première
fois dans un ballet,
un sujet d’actualité trouve
son expression sur le thème de la
lutte contre la colonisation, l’esclavage
et l’inégalité raciale. Mais,
malgré toute l’importance du contexte
socio-politique, l’idée principale
du ballet reste l’amour qui franchit les
obstacles insurmontables, vainc l’ennemi,
détruit les préjugés
humains.
«Chantez
les chants de notre temps, enfants de la
Terre, ne chantez ni la haine, ni l’animosité,
ni la guerre, chantez l’amour – ces mots
simples et sincères de
Peter Abrahams, - épigraphe
du ballet, - reflètent l’idée
principale de Kara Karaev.
Alliant
les particularités du style du folklore
sud-africain avec les grandes possibilités
sémantiques de la musique contemporaine,
le compositeur crée une musique émotionnelle,
brillante, pittoresque qui ravit par ses
duos interprétés avec passion,
ses danses à tempérament,
ses paysages séduisants, ses scènes
dramatiques et tendues.
Une
des pages les plus poétiques du ballet
est – «La
Berceuse»,
qui se distingue par sa forme laconique
et stricte, sa langue fragile et harmonique.
C’est un exemple remarquable du genre lyrique
de Karaev
qui est sincère, généreux
tout en étant sobre. Dans la musique
de « La Berceuse»
s’unissent différents sentiments et émotions :
la douceur, la rêverie, la tristesse
infinie et la tension contenue.
Sa
maîtrise de l’art dramatique, son
originalité symphonique et l’interprétation
novatrice des formes chorégraphiques
du ballet «Les chemins foudroyés»
ont permis à Karaev d’obtenir en
1967 la plus haute distinction de l’URSS
- le prix Lénine.
Dans
toutes les œuvres énumérées,
Kara Karaev tente d’éviter les stéréotypes,
d’élargir les moyens d’expressivité
de la musique azerbaïdjanaise, d’enrichir
l’art national avec de nouveaux personnages
de qualité. Le grand écrivain
azerbaïdjanais Anar le surnomma : «l’étoile de l’avenir». Cependant les recherches créatrices
tournées vers l’avenir de ce compositeur,
qui a devancé son temps, n’ont pas
toujours été perçues
de la même façon. Parfois ses
contemporains , incapables de comprendre
la nature novatrice du poème symphonique «Leyli
et Medjnoun», du ballet «Les Sept Belles
Filles», de ses symphonies, de ses concertos
pour violon, accusaient le compositeur de
ne pas respecter les normes tonales de la
musique azerbaïdjanaise.
Pourtant
la question essentielle concerne l’attitude
novatrice de l’œuvre de Karaev envers
les traditions nationales.